Née au début des années soixante à Sainte-Marie en Beauce au Québec, Martine Chassé peint essentiellement pour nous faire voir et ressentir les effets colorés et toniques de son merveilleux coin de pays, composé de vallons trouvant leur ordonnance par la force d’attraction de la coulée de la rivière Chaudière. Ce texte est écrit sous « haute influence », car je reviens tout juste de l’atelier de Martine Chassé. Le lieu semble être préservé du temps. Les couleurs de la nature s’apparentent ici aux coloris de la magie du surnaturel, là où le moindre détail, le moindre regard semblent illustrer une sorte de métamorphose, voire une allégorie bien sentie et des plus expressives.
Depuis l’atelier installé au sein d’une maison centenaire juchée comme un nid précaire mais douillet sur les hauteurs de Vallée-Jonction, deux tableaux me happent par leur insidieuse atmosphère de « fascination » – le mot n’est pas trop fort. Mille et une subtilités apparaissent peu à peu, comme un dessert consommé à la petite cuillère. Pur délice! Aucun personnage. Des couleurs fauves rugissantes au premier coup d’œil. Puis les nuances en teintes et en demi-teintes se colorant des effets contrastés simultanés des couleurs complémentaires. Ainsi les couleurs semblent plus saturées, plus lumineuses, plus énergiques. Je pense à la manière de peindre des Impressionnistes, dont le message passait par le choc des lumières franches sur la rétine de l’œil du spectateur. Pensons à une sorte d’éblouissement heureux et audacieux des couleurs. En entrevue, l’artiste me parlera de l’influence des toiles de Liliane Fournier. Une peintre professionnelle reconnue pour la vigueur de son coloris. Une femme formidable s’insérant quelque part dans la lignée parentale et qui, comme Denise Michaud, sa tante et peintre au long cours, aura su l’encourager à exposer ses toiles en participant avec succès à divers symposiums à travers le Québec.
L’architecture du paysage
Tout s’organise, se structure et trouve un ordre justifié dans ces toiles aux grandes lignes d’une construction architecturale, échafaudée, affirmée. L’intention comme les propos de l’artiste donnent à penser à la philosophie de Harris du Groupe des Sept. D’abord par la propension à vouloir faire la narration de la région tout entière, en tenant compte de l’apport du labeur des gens qui ont su défricher et rendre fertiles ces vastes étendues de terre – sans jamais pourtant faire la représentation de personnages. Mais aussi et surtout par ce désir de présenter la nature dans un style audacieux et vigoureux, édifié, allant au primordial. Bref, en dehors de la tradition, et en s’appuyant sur l’énergie pure des couleurs vives qui saura créer le chemin à travers l’œil vers l’imagination et les souvenirs. En clair : pourquoi faudrait-il recréer la réalité remplie de vitalité selon une certaine manière de peindre traditionnelle ? À la question, Martine Chassé répond que l’environnement se doit d’être rendu dans toute sa vitalité, souvenir et conscience de l’héritage patrimonial – dans un style approprié, contemporain, à la manière d’un témoignage, si l’on veut.
Artiste autodidacte et d’intuition
Bachelière en marketing à l’Université d’Ottawa, élevée au sein d’une famille respectée du domaine des affaires, la trajectoire de sa vie semblait se dessiner par elle-même. Sauf qu’à la mort de la mère, une aquarelliste qui tenait une place d’exception dans le cœur de l’artiste en devenir, puis de son père peu de temps après, Martine Chassé s’est retirée ans ses terres pour prendre soin d’elle. Des doux souvenirs de sa mère lui est revenu le goût du dessin. Le pastel, les crayons de couleur. La subtilité texturée des papiers qu’elle aime tant. Elle se mettra alors à la création à temps plein avec une énergie défiant les heures joyeuses de l’existence. Une boîte de couleurs reçue en cadeau viendra préciser davantage le sens que prendront les aspirations de sa vie. Depuis, les pinceaux et l’huile qu’elle aime tant pour son onctuosité et les ajouts subtils en superposition des coloris, les photographies arrachées au paysage tout au long du jour qui lui fourniront les sujets, les changements abrupts de la lumière sans oublier les découvertes tactiles, parfois fantomatiques de la matière arrachée à la toile, lui amènent la sensation d’être au pouvoir de soi, capable d’exprimer, de découvrir et de vivre la réalité du présent, telle cette source inouïe redevable du sentiment sans pitié de l’accomplissement personnel face au jugement imaginé par l’artiste. Ce que recherchent par-dessus tout les collectionneurs avisés (et autres fanas de l’art) en somme. Car la promesse d’une création authentique et d’une continuité dans le temps se profilent à l’horizon, tel un soleil donnant le « la » de « la» levée du jour nouveau.
Par : Michel Bois, éditeur en chef Source: Magazin’Art